Patrick Mouratoglou: «La comparaison hommes-femmes dessert le sport féminin»
Entraîneur de Serena Williams depuis six ans, le Français Patrick
Mouratoglou a travaillé avec des femmes et des hommes qui, soutient-il,
ont développé des manières différentes de jouer au tennis. Il évoque le
sujet à la veille de la Journée des droits des femmes.
Patrick Mouratoglou est un homme qui aime les femmes et qui les connaît parfaitement. Il coache depuis 2012 Serena Williams, qui a remporté 13 de ses 23 titres du Grand Chelem avec lui. Avant elle, il s'est occupé d'autres joueuses, comme la Française Aravane Rezaï, ou la Russe Anastasia Pavlyuchenkova. Sa Mouratoglou Tennis Academy, basée dans le sud de la France, accueille, à l'année, près de 200 joueurs et joueuses. A l'heure du féminisme débridé, des revendications décomplexées et des dénonciations d'abus sexuels, celui qui fut aussi l'entraîneur de Marcos Baghdatis et Grigor Dimitrov fait un témoin idéal de ces problématiques dans le monde du sport.
Le Temps: Une question sans doute un peu cliché: entraîne-t-on une joueuse de la même façon qu'un joueur? Et est-ce plus ou moins facile?
Patrick Mouratoglou: Je ne suis pas un grand fan des généralités, et j'ai toujours prôné une approche individualisée dans le coaching. Mais je peux quand même vous dire ceci: les femmes expriment plus librement leurs sentiments que les hommes. Elles n’ont pas «honte» d’être tristes, angoissées ou stressées. Les hommes vont eux plus souvent masquer ce qu'ils ressentent pour se montrer forts vis-à-vis de l’extérieur. Même s'ils ont développé une grande relation de confiance avec leur coach, ils pourront avoir tendance, par habitude ou par pudeur, à dissimuler des sentiments qu’ils jugent insuffisamment virils. La relation de coaching avec les femmes est donc plus directe. Elles sont moins complexes à décrypter, car elles utilisent moins de filtres. En revanche, la psychologie féminine a ses codes, bien différents de ceux des hommes. Et ces derniers, lorsqu’ils interviennent comme coaches, doivent absolument les connaître et les comprendre au risque de passer totalement à côté de leur sujet.
Autre cliché tenace: les femmes seraient plus fragiles, plus perméables à l'environnement et à la pression.
C’est le fait qu’elles expriment plus librement leurs émotions qui autorise certains à penser qu’elles sont «faibles». Alors que dans la même situation, un homme va chercher à masquer la moindre émotion ou à l’exprimer sous forme de colère, pour faire croire qu’il ne subit pas la pression. Aussi, j'ai pu constater que les joueuses étaient plus en demande d’une attitude directive de ma part que les joueurs, qui sont au contraire en recherche d’autonomie. Cela pourrait expliquer la présence très fréquente du père auprès des joueuses sur le circuit.
Voilà six ans que vous travaillez avec Serena Williams. Un vrai cas à part?
Elle ne rentre dans aucune case existante. C'est une femme qui a besoin de prendre totalement son projet en main. Elle réfléchit beaucoup à son jeu, imagine des exercices pour corriger ses erreurs, organise son emploi du temps. Elle est beaucoup plus autonome que toutes les autres joueuses avec lesquelles j’ai travaillé. Elle se comporte comme la PDG de l’entreprise Serena Williams, dont l’objectif est de gagner des Grands Chelems. C'est son caractère qui a fait d'elle la plus grande joueuse de l’histoire. Elle a développé une ambition, un niveau d’exigence et une culture du résultat ahurissants. Elle aime être en contrôle de tout, elle ne fait que très rarement confiance et elle teste beaucoup les gens. Anecdote: le tout premier jour de notre collaboration, elle se présente sur le court, ne me regarde pas et ne me répond pas lorsque je lui dis bonjour. Puis elle commence l’entraînement en m’ignorant totalement, et continue de le faire jusqu’à ce qu’elle aille s’asseoir sur le banc pour s’hydrater. Là, je l’interpelle et lui explique avec beaucoup d’autorité: « Avec moi, tu vas respecter les règles que je vais t'imposer, tu vas me dire bonjour le matin, me regarder et me répondre lorsque je m’adresse à toi!» Dès cet instant, j’ai obtenu son respect et elle ne s’est plus jamais comportée de la sorte. Je n’avais pas encore sa confiance, et j’allais devoir me battre pour la mériter.
Pourquoi existe-t-il si peu de coaches femmes dans le monde du tennis?
Elles sont effectivement très peu nombreuses et je le déplore. Peut-être en raison des voyages incessants, entre 35 et 45 semaines par an. Mais surtout, le monde du sport est très influencé par les modes et les courants. La vision du coaching est masculine, parce que très peu d'athlètes sont encadrés par des femmes. Et très rares sont ceux qui prendront le risque de se démarquer, Andy Murray restant une exception [avec la Française Amélie Mauresmo].
Mais si demain un joueur obtient des résultats exceptionnels encadré par une femme, la mode peut totalement changer. A titre d’exemple, aucun joueur ne voulait d’un ex-numéro 1 mondial comme coach il y a dix ans. Puis Ivan Lendl a permis à Andy Murray de changer de dimension en remportant trois titres du Grand Chelem et une médaille d’or olympique, alors la quasi-totalité des meilleurs mondiaux ont ouvert la porte aux anciens champions, tels Boris Becker, John McEnroe, Andre Agassi, Stefan Edberg et bien d'autres.
Existe-t-il encore des blocages culturels dans la société civile pour les femmes en 2018? Des familles qui refusent de laisser des adolescentes tenter une carrière professionnelle?
Le sport n’est toujours pas considéré comme un métier noble dans notre culture occidentale d’Europe de l'Ouest, surtout pour une femme. De nombreux parents ne souhaitent pas voir leur fille se lancer dans le sport de haut niveau. Je sens quand même une petite évolution positive dans ce domaine. Mais pour qu'une fille réussisse dans un sport individuel, il faudra que ses parents s’investissent, l'accompagnent et la soutiennent avec une forte détermination. La plupart des familles européennes de l'Ouest n'en ont pas conscience, ce qui explique la prédominance des joueuses d’Europe de l’Est. Là-bas, les parents s’investissent totalement, car la jeune fille porte souvent l’avenir de toute la famille dans sa raquette. La pression est immense, et évidemment, toutes ne sont pas en mesure de la supporter. D'ailleurs, les joueuses chinoises arrivent avec la même démarche et une véritable volonté politique. Il est clair qu’elles seront bientôt très nombreuses dans le top 100.
La médiatisation du sport
féminin reste insuffisante aux yeux de certains, qui réclament une
parité totale dans la couverture média. Qu'en pensez-vous?
La comparaison constante hommes-femmes au sein d’une même discipline, voilà ce qui dessert le sport féminin! Et tous ceux qui en usent et abusent sont évidemment des détracteurs. Je m’élève régulièrement contre ça, parce que cela ne présente aucun intérêt. Les caractéristiques physiques des femmes et des hommes n’étant pas comparables, elles ont dû développer des stratégies de jeu très différentes. Ce sont donc deux sports différents. Je trouve cependant que les médias soutiennent de plus en plus le sport féminin, qu'ils se rendent compte que le public réagit bien. Je suis convaincu que dans trente ans, le sport féminin aura toute la place qu'il mérite.
On
assiste à une vraie libération de la parole des victimes à propos du
harcèlement sexuel, dans tous les milieux. Qu'en est-il dans le monde du
tennis?
Le monde du sport est globalement machiste, c'est incontestable. Mais le fait que les deux circuits de tennis soient très séparés limite beaucoup les interactions et donc les dérapages. En revanche, je pense qu’un sujet mérite d’être abordé: celui des joueuses mineures qui sont accompagnées à l'année par des coaches masculins. Je n’ai pas ressenti un accroissement de la peur des parents lorsqu’ils confient leur fille à un entraîneur, mais il est indéniable que les risques de dérapages sont très importants et que le sujet ne doit pas être pris à la légère. Toutes les fédérations et les académies ont une responsabilité à assumer. Ça passe notamment par une sélection encore plus attentive concernant les coaches amenés à s'occuper de jeunes filles. C'est en tout cas ce que nous faisons dans mon académie.
En Formule 1, les mannequins des grilles de départ seront bientôt remplacés par des enfants. Lors du dernier Masters Next Gen (moins de 21 ans) de tennis à Milan, la présence de modèles ultra-sexy au tirage au sort a déclenché un torrent de protestations. Que pensez-vous de cette nouvelle tendance?
A chaque fois que je voyage en Italie et que je tombe sur des émissions de foot avec des potiches habillées très sexy sur le plateau, je trouve ça d'un clientélisme affligeant. Le mouvement féministe a pris du pouvoir dans l’agitation médiatique actuelle, et tout ce qui dégrade l'image de la femme est maintenant remis en question. Je trouve plutôt sain que ces pratiques cessent ou commencent à devenir limitées. Le sport féminin doit avoir du succès par la qualité du spectacle proposé, pas parce qu’on y voit des demoiselles dénudées.
1996 Fondation de sa première académie de tennis.
2000 Lancement de sa structure de management sportif, avec laquelle il découvre Marion Bartoli, Caroline Wozniacki et Marcos Baghdatis.
2006 Début de la collaboration avec Anastasia Pavlyuchenkova, qui passe en deux ans de la 350e à la 25e place du classement WTA.
2012 Début de la collaboration avec Serena Williams.
Source cliquer ICI
Patrick Mouratoglou est un homme qui aime les femmes et qui les connaît parfaitement. Il coache depuis 2012 Serena Williams, qui a remporté 13 de ses 23 titres du Grand Chelem avec lui. Avant elle, il s'est occupé d'autres joueuses, comme la Française Aravane Rezaï, ou la Russe Anastasia Pavlyuchenkova. Sa Mouratoglou Tennis Academy, basée dans le sud de la France, accueille, à l'année, près de 200 joueurs et joueuses. A l'heure du féminisme débridé, des revendications décomplexées et des dénonciations d'abus sexuels, celui qui fut aussi l'entraîneur de Marcos Baghdatis et Grigor Dimitrov fait un témoin idéal de ces problématiques dans le monde du sport.
Le Temps: Une question sans doute un peu cliché: entraîne-t-on une joueuse de la même façon qu'un joueur? Et est-ce plus ou moins facile?
Patrick Mouratoglou: Je ne suis pas un grand fan des généralités, et j'ai toujours prôné une approche individualisée dans le coaching. Mais je peux quand même vous dire ceci: les femmes expriment plus librement leurs sentiments que les hommes. Elles n’ont pas «honte» d’être tristes, angoissées ou stressées. Les hommes vont eux plus souvent masquer ce qu'ils ressentent pour se montrer forts vis-à-vis de l’extérieur. Même s'ils ont développé une grande relation de confiance avec leur coach, ils pourront avoir tendance, par habitude ou par pudeur, à dissimuler des sentiments qu’ils jugent insuffisamment virils. La relation de coaching avec les femmes est donc plus directe. Elles sont moins complexes à décrypter, car elles utilisent moins de filtres. En revanche, la psychologie féminine a ses codes, bien différents de ceux des hommes. Et ces derniers, lorsqu’ils interviennent comme coaches, doivent absolument les connaître et les comprendre au risque de passer totalement à côté de leur sujet.
Autre cliché tenace: les femmes seraient plus fragiles, plus perméables à l'environnement et à la pression.
C’est le fait qu’elles expriment plus librement leurs émotions qui autorise certains à penser qu’elles sont «faibles». Alors que dans la même situation, un homme va chercher à masquer la moindre émotion ou à l’exprimer sous forme de colère, pour faire croire qu’il ne subit pas la pression. Aussi, j'ai pu constater que les joueuses étaient plus en demande d’une attitude directive de ma part que les joueurs, qui sont au contraire en recherche d’autonomie. Cela pourrait expliquer la présence très fréquente du père auprès des joueuses sur le circuit.
Serena Williams a développé une ambition, un niveau d’exigence et une culture du résultat ahurissants.
Elle ne rentre dans aucune case existante. C'est une femme qui a besoin de prendre totalement son projet en main. Elle réfléchit beaucoup à son jeu, imagine des exercices pour corriger ses erreurs, organise son emploi du temps. Elle est beaucoup plus autonome que toutes les autres joueuses avec lesquelles j’ai travaillé. Elle se comporte comme la PDG de l’entreprise Serena Williams, dont l’objectif est de gagner des Grands Chelems. C'est son caractère qui a fait d'elle la plus grande joueuse de l’histoire. Elle a développé une ambition, un niveau d’exigence et une culture du résultat ahurissants. Elle aime être en contrôle de tout, elle ne fait que très rarement confiance et elle teste beaucoup les gens. Anecdote: le tout premier jour de notre collaboration, elle se présente sur le court, ne me regarde pas et ne me répond pas lorsque je lui dis bonjour. Puis elle commence l’entraînement en m’ignorant totalement, et continue de le faire jusqu’à ce qu’elle aille s’asseoir sur le banc pour s’hydrater. Là, je l’interpelle et lui explique avec beaucoup d’autorité: « Avec moi, tu vas respecter les règles que je vais t'imposer, tu vas me dire bonjour le matin, me regarder et me répondre lorsque je m’adresse à toi!» Dès cet instant, j’ai obtenu son respect et elle ne s’est plus jamais comportée de la sorte. Je n’avais pas encore sa confiance, et j’allais devoir me battre pour la mériter.
Pourquoi existe-t-il si peu de coaches femmes dans le monde du tennis?
Elles sont effectivement très peu nombreuses et je le déplore. Peut-être en raison des voyages incessants, entre 35 et 45 semaines par an. Mais surtout, le monde du sport est très influencé par les modes et les courants. La vision du coaching est masculine, parce que très peu d'athlètes sont encadrés par des femmes. Et très rares sont ceux qui prendront le risque de se démarquer, Andy Murray restant une exception [avec la Française Amélie Mauresmo].
Mais si demain un joueur obtient des résultats exceptionnels encadré par une femme, la mode peut totalement changer. A titre d’exemple, aucun joueur ne voulait d’un ex-numéro 1 mondial comme coach il y a dix ans. Puis Ivan Lendl a permis à Andy Murray de changer de dimension en remportant trois titres du Grand Chelem et une médaille d’or olympique, alors la quasi-totalité des meilleurs mondiaux ont ouvert la porte aux anciens champions, tels Boris Becker, John McEnroe, Andre Agassi, Stefan Edberg et bien d'autres.
Existe-t-il encore des blocages culturels dans la société civile pour les femmes en 2018? Des familles qui refusent de laisser des adolescentes tenter une carrière professionnelle?
Le sport n’est toujours pas considéré comme un métier noble dans notre culture occidentale d’Europe de l'Ouest, surtout pour une femme. De nombreux parents ne souhaitent pas voir leur fille se lancer dans le sport de haut niveau. Je sens quand même une petite évolution positive dans ce domaine. Mais pour qu'une fille réussisse dans un sport individuel, il faudra que ses parents s’investissent, l'accompagnent et la soutiennent avec une forte détermination. La plupart des familles européennes de l'Ouest n'en ont pas conscience, ce qui explique la prédominance des joueuses d’Europe de l’Est. Là-bas, les parents s’investissent totalement, car la jeune fille porte souvent l’avenir de toute la famille dans sa raquette. La pression est immense, et évidemment, toutes ne sont pas en mesure de la supporter. D'ailleurs, les joueuses chinoises arrivent avec la même démarche et une véritable volonté politique. Il est clair qu’elles seront bientôt très nombreuses dans le top 100.
Les caractéristiques physiques des femmes et des hommes n’étant pas comparables, elles ont dû développer des stratégies de jeu très différentes.
La comparaison constante hommes-femmes au sein d’une même discipline, voilà ce qui dessert le sport féminin! Et tous ceux qui en usent et abusent sont évidemment des détracteurs. Je m’élève régulièrement contre ça, parce que cela ne présente aucun intérêt. Les caractéristiques physiques des femmes et des hommes n’étant pas comparables, elles ont dû développer des stratégies de jeu très différentes. Ce sont donc deux sports différents. Je trouve cependant que les médias soutiennent de plus en plus le sport féminin, qu'ils se rendent compte que le public réagit bien. Je suis convaincu que dans trente ans, le sport féminin aura toute la place qu'il mérite.
Le monde du sport est globalement machiste, c'est incontestable.
Le monde du sport est globalement machiste, c'est incontestable. Mais le fait que les deux circuits de tennis soient très séparés limite beaucoup les interactions et donc les dérapages. En revanche, je pense qu’un sujet mérite d’être abordé: celui des joueuses mineures qui sont accompagnées à l'année par des coaches masculins. Je n’ai pas ressenti un accroissement de la peur des parents lorsqu’ils confient leur fille à un entraîneur, mais il est indéniable que les risques de dérapages sont très importants et que le sujet ne doit pas être pris à la légère. Toutes les fédérations et les académies ont une responsabilité à assumer. Ça passe notamment par une sélection encore plus attentive concernant les coaches amenés à s'occuper de jeunes filles. C'est en tout cas ce que nous faisons dans mon académie.
En Formule 1, les mannequins des grilles de départ seront bientôt remplacés par des enfants. Lors du dernier Masters Next Gen (moins de 21 ans) de tennis à Milan, la présence de modèles ultra-sexy au tirage au sort a déclenché un torrent de protestations. Que pensez-vous de cette nouvelle tendance?
A chaque fois que je voyage en Italie et que je tombe sur des émissions de foot avec des potiches habillées très sexy sur le plateau, je trouve ça d'un clientélisme affligeant. Le mouvement féministe a pris du pouvoir dans l’agitation médiatique actuelle, et tout ce qui dégrade l'image de la femme est maintenant remis en question. Je trouve plutôt sain que ces pratiques cessent ou commencent à devenir limitées. Le sport féminin doit avoir du succès par la qualité du spectacle proposé, pas parce qu’on y voit des demoiselles dénudées.
Patrick Mouratoglou en cinq dates
1970 Naissance à Paris de père grec et de mère française.1996 Fondation de sa première académie de tennis.
2000 Lancement de sa structure de management sportif, avec laquelle il découvre Marion Bartoli, Caroline Wozniacki et Marcos Baghdatis.
2006 Début de la collaboration avec Anastasia Pavlyuchenkova, qui passe en deux ans de la 350e à la 25e place du classement WTA.
2012 Début de la collaboration avec Serena Williams.
Source cliquer ICI
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